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UNE BIBLIOTHÈQUE DU BIZARRE

LE LIVRE DES SAUVAGES : 

Comment le carnet de dessin d’un facétieux gamin berlinois peut-il se retrouver sur l’étagère d’une librairie française puis passer dans les mains d’un prêtre catholique pour enfin être présenté comme un précieux manuscrit natif-américain et se voir publier sous le titre de Manuscrit pictographique américain, précédé d’une notice sur l’idéographie des Peaux Rouges

Cette étrange transformation est due au prêtre catholique en question, Emmanuel Domenech, qui passa plusieurs années à voyager au Mexique et en Amérique du Sud avant de revenir en France en 1850, la tête pleine de rêves. Lorsqu’il se voit confier l’étude d’un curieux document que lui transmet un libraire de la bibliothèque de l’Arsenal de Paris il n’hésite pas une seconde à l’assimiler aux dessins rupestres de ces contrées lointaines. Le document en question est un manuscrit usé d’une centaine de pages couvertes de figures primitives qui représentent des petits personnages occupés à des activités variées telles que la copulation ou la bastonnade. Dans le fac-similé du livre que Domenech parvient à faire publier en 1860 avec le soutien financier du gouvernement français, il interprète ces pictogrammes comme des symboles religieux amérindiens. Il identifie clairement l’homme médecine et le chef de la tribu. Il fait remarquer les parties génitales surdimensionnées qu’arborent ces personnages et suppose un culte phallique. Certains caractères syllabiques lui posent bien quelques problèmes, mais il est convaincu de l’importance capitale de sa contribution à l’étude des natifs-américains. 

Il doit cependant revoir son enthousiasme à la baisse quand un journal berlinois découvre que les symboles sur lesquels il bute sont des mots allemands mal orthographiés. Si ce livre a été écrit par des indiens, alors les indiens parlent allemand. 

Finalement, on parvient à identifier l’auteur : il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un écolier du XVIIe siècle. Les interprétations comparées sont des trésors d’ironie : un hiéroglyphe constitué de plusieurs lignes rouges que Domenech interprète comme « emblème de l’éclair et symbole de la colère divine » est en fait le mot « wurszd » qui veut dire saucisse en allemand. Une figure dans laquelle il voit l’homme médecine occupé à faire sortir un esprit du corps d’un possédé semble faire référence à une punition qu’inflige un professeur à un élève à coup de canne. Quant aux organes sexuels disproportionnés, il doit s’agir de la représentation graphique la plus commune aux petits garçons de tous les âges. 

On ignorera toujours l’identité précise du gamin en culotte courte qui eut l’étourderie d’oublier son carnet dans le rayon d’une bibliothèque parisienne. Il est à noter qu’Emmanuel Domenech fera paraître un second ouvrage en 1861, sous le titre La vérité sur le livre des sauvages, dans lequel il défendra bec et ongle et contre toute logique l’authenticité du manuscrit.

LE PAPALAGUI : 

Il y’a une raison à ce que Le Papalagui, paru une première fois en 1920 en Allemagne, fut réédité, traduit en une quinzaine de langues et écoulé par millions d’exemplaires dans les années 80. Elle tient à la naissance d’un programme éditorial qui n’a fait que se maintenir jusqu’à aujourd’hui et qui capitalise sur l’idée que l’homme blanc a apporté la civilisation au monde au prix de sa séparation d’avec la nature. Divorce consommé. Il est malheureux et il ne le sait pas. Heureusement pour lui, Touiavii, un chef samoan en pagne à feuilles et collier de fleurs, va se charger de lui refaire une éducation. C’est cette parole du bon sauvage qu’Erich Scheurmann, journaliste pour la Croix-Rouge en mission dans l’archipel polynésien, nous transmet à travers son livre

Moralisateur, naïf, sectaire, religieux, Le Papalagui a tout pour figurer comme le précurseur idéal du manifeste écologique moderne. Dans la préface, Scheurmann confie qu’il reproduit les paroles du chef sans son accord. On apprend que ce dernier connait bien l’Europe puisqu’il s’y est produit au sein d’une troupe de théâtre. De retour sur son archipel, Touiavii fustige la culture occidentale et met en garde ses ouailles de ne pas frayer avec l’homme blanc qui n’a que le travail et l’argent en tête.

Naturellement, rien de tout cela n’est vrai. Un ethnologue allemand soulève le lapin en 1987 en révélant les incohérences dans la langue samoane employée par Touiavii. On en vient à apprendre que Scheurmann a été membre du Lebensreform, un mouvement social populaire du début du XXe siècle, ancêtre du mouvement hippie, qui prône le retour à la nature et la libération sexuelle. C’est lui qui parle par la voix de Touiavii. Entre temps, Le Papalagui fait déjà partie du programme scolaire des lycées allemands et les étudiants se sont arrachés le livre que le journal allemand Die Zeit a surnommé « la Bible verte ». 

Ce qu’il y a de remarquable et que partage le livre de Scheurmann avec d’autres fraudes littéraires, c’est qu’il traverse les époques sans souci de véracité et on n’hésite pas aujourd’hui encore à le présenter comme un témoignage authentique. Les fables écologiques ont la vie dure. 

THE CARE AND TRAINING OF YOUR PET ROCK : 

Il s’agit du manuel d’utilisation qui était fourni à chaque achat d’un Pet Rock. Ça n’a l’air de rien, mais dans les années 70, ce petit livret occupait les étagères de nombreux appartements californiens. Totem de la futilité de la société de consommation, fétiche du Flower Power, moquerie ringarde à destination des amoureux des minéraux magiques, le Pet Rock était vendu comme un caillou de compagnie sur un tapis de paille, dans une boite en carton qui comportait des trous pour la respiration. Il s’agissait en fait de simples pierres ramassées sur la plage mexicaine de Rosarita qu’un publicitaire américain, Gary Dahl, avait eu l’idée de commercialiser pour 3,95 dollars, avec succès, doit-on ajouter, puisque le Pet Rock s’écoula à plus d’1,5 millions d’exemplaires lors des fêtes de Noël de 1975 et rendit son créateur instantanément millionaire. 

Le manuel qui accompagnait le kit valait davantage le détour que le caillou en lui même. C’était un modèle d’humour absurde. L’heureux possesseur d’un Pet Rock y apprenait comment éduquer sa pierre, comment la nourrir, la faire se reproduire, la gronder, la récompenser, lui faire faire des tours. 

« Debout. 

Vous êtes surement un peu dérangé si vous pensez qu’un Pet Rock peut apprendre à se mettre debout. Un caillou n’a pas de pieds. » 

« Vas chercher.

Pour apprendre à votre Pet Rock à aller chercher, jetez un bâton ou une balle aussi loin que vous pouvez. Ensuite, jetez votre Pet Rock aussi loin que vous pouvez. Il est rare que votre Pet Rock vous rapporte l’objet en question, mais c’est comme ça qu’on fait en tout cas. »

Les Pet Rock disparaitront de la même manière que les bagues qui changent de couleur selon l’humeur et que les Tamagotchis. Quant à Gary Dahl, il tentera de reproduire son premier coup de génie en vendant un kit pour faire pousser du sable puis en commercialisant un gramme de terre de chine afin de faire passer en contrebande le pays tout entier sur le continent américain. Aucun de ces projets ne connut le succès escompté. Les voix du marketing sont impénétrables. 

A DOSE OF AWKWARD : Left-Handed Toons (By Right-Handed People) :

Comme le sous-titre l’indique, ce comic book est une compilation de cartoons dessinés par des droitiers, mais avec leurs mains gauches. Drew Mokris et Justin Boyd possèdent un humour assez privé et certaines planches laissent perplexe, mais l’intérêt de l’exercice réside dans une forme de naïveté retrouvée par la mise à la torture de la mauvaise main. 

LE MANUSCRIT DE VOYNICH : 

Sans nous étendre par le menu sur ce qui doit être le cryptogramme le plus célèbre du monde des livres, il s’agit au moins d’esquisser les grandes lignes. Le manuscrit de Voynich est un ouvrage anonyme dont on doit la découverte à Wilfrid M. Voynich qui l’aurait déniché en 1912 dans la bibliothèque poussiéreuse d’une communauté jésuite du centre de la péninsule italienne. Il est mentionné en 1639 dans une lettre adressée à Athanase Kircher, un prêtre jésuite qui préconisait l’emploi d’un piano-à-chats pour guérir les malades, qui dessina méticuleusement les plans du paradis terrestre et dont la crédulité était bien connue. Avant cela, on ne trouve rien sur l’étrange document. Il est composé de glyphes inconnus et illustré de plantes et de fleurs qui n’existent pas, du moins pas sur notre planète. Il a fait se tordre les méninges, et continue à les faire se tordre, des experts en cryptographie ainsi que les professionnels en merveilles et en chimères. 

Si nous n’avons aucune idée de ce qu’il est réellement, voici une liste de tout ce dont on a dit qu’il pourrait être : Une forme de gallois ou d’ancien cornique du VIIe siècle ; une ancienne langue germanique ; du mandchou chinois de la dynastie Quing ; de l’hébreu chiffré par Roger Bacon décrivant une technologie extraterrestre du futur capable de générer de l’ADN à partir du son ; la langue des anges en référence au livre d’Enoch de John Dee (les plantes inconnues seraient des espèces originelles trouvées dans le Jardin d’Eden) ; une fabrication de son compère Edward Kelley afin de le vendre à l’empereur Rodolphe II ; un livre de sorts ; un livre de recettes ; un grimoire médicinal du moyen âge ; un journal de voyage ; la transcription d’une langue polyglotte à l’adresse des personnes qui ne parlent pas le latin ; un texte philosophique à l’usage d’initiés ; un herbier mexicain ; un guide pour observer les galaxies avec un télescope ; un guide pour observer les cellules avec un microscope ; une oeuvre de jeunesse de Léonard de Vinci ; un enregistrement de parler en langue ; une oeuvre d’art brut ; une farce grossière.

Le plus étonnant est qu’il se pourrait encore qu’il soit tout autre chose. 

HAND GRENADE THROWING AS A COLLEGE SPORT :

Publié en 1918, alors que la Grande Guerre est sur le point de se terminer, ce manuel de huit pages sur le lancer de grenade écrit par Lewis Omer est désormais introuvable. Il n’en existe plus de copie connue, la dernière en date conservée à la British Library fut détruite par un bombardement durant la Seconde Guerre mondiale. La publication d’Omer fut cependant reproduite au complet dans les pages du Spalding’s Athletic Official Handbook, publié en 1919.

Cette activité faisait partie du programme de quelques écoles américaines dont le but était de rendre ludique l’utilisation de la grenade en vue d’une mobilisation au front. Chaque concurrent y apprenait la bonne manière de jeter une reproduction de l’explosif à une distance donnée en un endroit précis représenté par un trou creusé dans le sol. On y conseillait, entre autres, d’éviter l’improvisation et de suivre la manière de faire de l’armée française. 

TURMOIL IN THE TOY BOX : 

Le Diable se cache dans les détails. Phil Phillips pense l’avoir trouvé dans le coffre à jouets des enfants des années 80, gavés de dessins animés et de figurines à l’effigie de leurs personnages préférés. 

« Soudain, le Seigneur m’a dit, « Phil, sais-tu ce qu’il se passe quand un enfant joue avec un jouet ? … Au travers de jouets comme celui qui se trouve sur la plage arrière de ta voiture, Satan prend le contrôle sur l’esprit des enfants partout dans le monde. »

Turmoil in the Toy Box, publié en 1986, est donc moins une mise en garde contre le capitalisme expliqué aux marmots et contre l’industrie du jouet qu’une véritable croisade contre la dimension satanique des jouets eux-mêmes. Phil Phillips, par une gymnastique intellectuelle intéressante, identifie la contre culture des années soixante comme le grand responsable de la commercialisation massive de jouets et de séries télévisées qui sont littéralement des produits manufacturés du malin. Des Tortues Ninja à Barbie, en passant par E.T. et les Bisounours, l’auteur attaque l’imaginaire enfantin et, en chevalier du Christ, pourfend ce qu’il nomme « l’occulte », un mot assez vague, mais dont on sent bien qu’il représente tout ce qu’il abomine. Phil Phillips dit s’en tenir au fait, ainsi : 

« Il y a plusieurs cas d’enfants qui sont morts en sautant par la fenêtre pour imiter Superman. »

Mais ce qu’il exècre par-dessus tout, c’est le dessin animé Les Maitres de l’Univers, un véritable blasphème : 

« De nombreux parents ont exprimés des inquiétudes du fait que leurs enfants, après un épisode des Maitres de l’Univers, se mettaient à courir dans la maison avec des épées en plastique en criant « Par le pouvoir du Crâne Ancestral ! » La parole de Dieu nous dit que c’est seulement par le sang de Jésus que des hommes peuvent posséder une autorité sur les autres. Elle ne mentionne pas le pouvoir du Crâne Ancestral. »

Et puis Phil Phillips le sait, le diable se plait à parodier Dieu :

« À la fin du film, E.T. tombe très malade et meurt. Il ressuscite et monte sur sa planète. La scène est similaire à la Résurrection du Christ et à sa montée au ciel. La différence est que Jésus est Dieu ; E.T. est un extraterrestre à l’aspect démoniaque qui n’est pas Dieu. »

Quant à Georges Lucas, il est de mèche avec les sororités païennes et les doctrines orientales : 

« Yoda est une sorte de moine bouddhiste qui enseigne la Force à Luke Skywalker. Il est intéressant de noter que la Force est un mot utilisé par les sorcières à travers les âges pour décrire le pouvoir qu’elles reçoivent de Satan. »

Phil Phillips apparait également dans une série d’entretiens en compagnie du pasteur Gary Greenwald dans lesquels il développe les idées de son livre. Les deux intervenants rivalisent d’imagination et on y apprend ainsi que les schtroumpfs sont en fait des cadavres réanimés, que les Petits Poneys font la promotion du mouvement New Age avec lequel ils partagent le symbole arc-en-ciel, et que les figurines du jeu Donjons et Dragons poussent des cris quand on les jette dans le feu.

L’auteur ne s’arrêtera pas en si bon chemin puisqu’un second tome de Turmoil in the Toy Box paraitra peu après le premier. Puis se seront, pêle-mêle : Saturday Morning Control, sur le lavage de cerveaux que subissent les gamins devant leur bol de céréales, The Bible, Barney and Beyond, où le dinosaure Barney en prend pour son grade, ou encore The Truth about Power Rangers, où la malfaisance des héros en collants est mise en pleine lumière. 

EUTHANASIA : THE AESTHETICS OF SUICIDE :

Né à San Francisco, James Harden-Hickey est un personnage haut en couleur. Durant sa vie, il s’est autoproclamé prince d’un rocher couvert de guano dans l’Atlantique Sud et a tenté d’y fonder une dictature militaire. Il a été fait baron par l’église catholique pour ses attaques féroces contre le régime républicain parisien et a édité son propre journal, Le Triboulet, dans lequel Marianne et la jeune République étaient très malmenées. 

Il a aussi publié onze romans bizarres sous le nom de St Patrice. Dans l’un d’eux, un double de Don Quichotte dont les ancêtres ne se distinguèrent jamais que par leurs échecs (l’un d’eux faisait porter une ceinture de chasteté à sa femme, son amant était serrurier) est déterminé à occuper une place à la Chambre des députés. Il hypnotise les masses et fait taire son rival, le maire Theodore Globule, en employant une pompe à air pour extraire l’aboiement d’un chien puis en l’expulsant dans la bouche de Globule dont les discours sont maintenant entrecoupés d’aboiements intempestifs.

Mais l’ouvrage qui nous intéresse particulièrement est un volume de 167 pages publié en 1894 et nommé Euthanasia : the Aesthetics of Suicide. Harden-Hickey y fait un éloge très sincère du suicide, présente des arguments en faveur de l’élimination et appuie ses dires par quatre cent citations et aphorismes qui vont de la Bible à Shakespeare. Certaines de ces citations semblent cependant porter l’empreinte de sa propre plume : 

« Le suicide est devenu un fait commun de notre temps – un toutes les trois minutes – ceci mérite d’attirer notre attention davantage que la curiosité morbide des lecteurs de journaux. Pour le chrétien, le suicide apparait comme un crime haineux, les suivants du Christ semblent avoir oublié que si la légende sur laquelle est fondée leur religion était vraie, le Christ occuperait une place prédominante dans les annales du suicide – beaucoup d’hommes ont mis fin à leurs vies, mais nous n’avons pas de preuve authentique d’un dieu qui l’aurait fait ; il doit être ajouté que nous n’avons d’ailleurs aucune preuve authentique d’un acte quelconque réalisé par un dieu. »

Le suicide est d’ailleurs une marque de sagesse : 

« Pour en revenir au suicide, il a été universellement approuvé par toutes les religions philosophiques, et a été pratiqué par quelques uns des plus fameux hommes de l’antiquité. Dans les pages suivantes, on trouvera ce qu’ont écrit sur le sujet les plus grands penseurs : Zénon, Epictète, Diogène, Sénèque, Cicéron, Marc Aurèle, Montaigne, Rousseau, Donne, Hume, Gibbon, Montesquieu, etc. Puisse ce petit ouvrage contribuer à surpasser le règne de la peur ! » 

Le texte est agrémenté d’illustrations représentant le suicide de misérables et de désespérés. L’auteur y conseille également les meilleures façons de s’exterminer, parmi lesquelles on trouve l’usage du ciseau.

Il faudra quelques années à Harden-Hickey pour passer de la théorie à la pratique. Usé par les revers de fortune et après avoir tenté d’organiser l’invasion de la Grande-Bretagne, il retournera en Californie puis trouvera la mort à El Paso, au Texas, par une surdose de morphine surement volontaire.

THE MANLY ART OF KNITTING :

De la légèreté, enfin. Dave Fougner est un homme, pas de doute : il joue au tennis, il élève des chevaux, il enseigne à des enfants, possède une grande propriété, une licence de pilote de l’air, et sa femme, Jennifer, est une blonde plantureuse. Dave Fougner est tellement masculin qu’il ne voit pas pourquoi l’art du tricot serait réservé au sexe faible. Ce petit manuel est publié en 1972 et qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas Dave Fougner qui admet son coté féminin, c’est Dave Fougner qui reprend ce qui lui appartient, car le tricot, écrit-il, était un travail d’homme avant la révolution industrielle. 

NAT TATE : AN AMERICAN ARTIST 1928-1960 : 

Roland Dorgelès avait fait peindre un âne nommé Lolo en le présentant comme un nouvel artiste « excessiviste » prometteur, et on avait encensé l’âne. William Boyd écrivit la biographie d’un artiste fictif, Nat Tate, et organisa une soirée hommage présidée par David Bowie, Gore Vidal et John Richardson le 1er avril 1998. 

Nat Tate était présenté comme un artiste expressionniste qui avait volontairement détruit 99 pour cent de son travail à son retour d’Europe avant de sauter du Ferry de Staten Island. En France, il avait été très impressionné par Georges Braque. Remettant en question sa propre production, il avait décidé de réviser entièrement ses oeuvres. Celles qu’il n’avait pas pu détruire, il avait insisté auprès de leurs propriétaires pour les racheter. N’ayant pas le droit à une seconde chance et miné par l’alcool, Nat Tate avait ainsi connu cette fin tragique. 

La farce se voulait innocente et n’eut pas le succès des plus célèbres canulars du monde de l’art. Nat Tate, supposément né en 1928, était totalement inconnu aux figures du gratin new-yorkais de cette époque. Du reste, quand David Bowie lu des extraits du livre devant une foule d’intellectuels branchés, il s’en trouva tout de même quelques uns pour dire qu’ils avaient déjà entendu parler de l’artiste.

FOX TOSSING AND OTHER SPORTS : 

Ce livre d’Edward Brooke-Hitching publié en 2015 est une encyclopédie des sports oubliés. On y découvre ce que faisaient nos ancêtres des 17eme et 18eme siècles pour se détendre. Le lancer de renards dont il est question dans le titre était un sport populaire en Allemagne. Il était pratiqué par l’aristocratie et se jouait en équipes de deux. Chacun des joueurs se tenait à l’extrémité d’un long filet élastique sur lequel on faisait rebondir les petits animaux, le but étant de les lancer le plus haut possible. Les renards devaient parcourir le terrain en évitant les filets sur leur chemin. 

Les bêtes font les frais de la plupart des spots absurdes répertoriés dans ce livre. On y trouvera la boxe à cheval, le combat d’ours ou encore la lutte sur pieuvre, qui consiste à aller chercher une pieuvre en apnée et à la ramener à la surface, une activité encore pratiquée en 1960. 

LIFE AFTER DOOMSDAY : 

Dans la longue tradition des manuels de formation destinés à survivre à l’apocalypse à venir, Life After Doomsday s’impose comme un incontournable. Quand parait ce livre en 1980, la fin du monde au CO2 n’a pas encore été inventée et Bruce Clayton est persuadé qu’une guerre nucléaire se prépare. Sur la cause du conflit, il ne fait pas preuve d’originalité : cela viendra de la Russie. 

Là où Clayton se distingue des auteurs survivalistes classiques, c’est qu’il a pensé à tout. Faire de sa maison un bunker imprenable, c’est entendu, mais qu’en est-il du sexe à l’intérieur du bunker ? Et si la situation l’exige, seriez vous capable de sacrifier vos proches pour vous sauver vous-même ? Bruce Clayton pose très sérieusement la question :

« Combien de membres de votre famille êtes vous prêts à considérer comme une perte raisonnable ? »

La première menace étant vos voisins, un comparatif est présent afin de vous décider sur le fusil d’assaut le mieux adapté pour les éliminer et vous octroyer ainsi leurs précieuses provisions. Un plan de bataille est également fourni qui indique les meilleurs angles de tir depuis votre salon et votre salle à manger. Du reste, le livre souffre aujourd’hui d’anachronisme. Si certaines informations, encore valides, sont d’utilité publique, il n’est cependant pas dit comment se prémunir des pets de vaches méthaniques censés causer le réchauffement apocalyptique de 2025. 

HOW TO HIDE ANYTHING : 

How to Hide Anything fait partie de ces guides pratiques inutiles en apparence, mais qui se révèlent indispensables au moins une fois dans l’existence. Michael Connor suppose que tout le monde a quelque chose à dissimuler et se propose de partager sa grande expérience de cacheur professionnel. Ce n’est pas de la paranoïa, c’est de l’anticipation : 

« Qu’attendez-vous pour vous décider enfin à utiliser l’espace à votre disposition — que l’on frappe à votre porte ou que vous appreniez dans le journal que le pays est entré en guerre ? »

Où qu’il regarde, l’auteur ne voit que cachette, coin secret, tiroir à double fond et mur creux. Les méthodes de camouflage sont diverses et adaptées à toute taille, celui qui souhaite cacher des corps n’a pas été oublié. Un guide à lire et à conserver, donc, ne serait-ce que pour se souvenir que telle substance illégale se trouve dans la tringle du rideau ou que telle arme du crime est dissimulée dans le faux boitier électrique du salon. 

THE STORY OF THE VIVIAN GIRLS : 

La découverte posthume de l’oeuvre colossale d’Henri Darger à entrainé toute une série de spéculations sur la véritable nature de celle-ci. Derrière tout ce scandale, c’était surtout l’esprit petit bourgeois qui s’exprimait. Celui qui veut que la littérature aille exclusivement aux intellectuels de profession. Henri Darger, concierge dans un hôpital de Chicago, reclus et misanthrope, répondait mal aux critères académiques. Puisqu’il avait créé une oeuvre littéraire, il devait être fou. Et puisque l’oeuvre en question était d’une originalité étonnante, elle devait dissimuler un sinistre secret. 

Aussi faut-il faire un sort aux théories, hasardées à demi-voix, qui font de Darger le possible meurtrier de la petite Elsie Paroubek, disparue en 1911 et dont le corps avait été retrouvé près d’un canal quelques semaines plus tard. On aime imprégner de cette odeur de souffre les vies trop différentes. 

Une fois cela dit, reste une oeuvre plastique surprenante. The Story of the Vivian Girls, in What is Known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion est une fresque en plusieurs volumes qui s’étale sur 15 145 pages. Le texte est accompagné d’illustrations à l’aquarelle et de collages dont les matériaux premiers sont les magazines et catalogues que Darger entassait dans sa chambre. On y suit les aventures des filles de Robert Vivian, sept princesses de la nation chrétienne d’Abbieannia, qui, sous le commandement d’Annie Aronburg (inspirée, il est vrai, par Elsie Paroubek et par la photo publiée lors de sa disparition), prennent les armes contre les Glandelinians qui tiennent les enfants en esclavage. 

Batailles sanglantes, scènes de tortures, massacres d’enfants, la production de Darger avait tout pour faire parler d’elle lors de sa découverte en 1973. On notera également plusieurs bizarreries qui trouveraient une explication dans l’éducation reçue par Darger. Notamment une figure récurrente, celle de l’androgyne. De nombreuses fillettes sont représentées sans sexe ou ayant des pénis. On a supposé que Darger, ne connaissant pas le sexe féminin, les représentait avec des sexes masculins.

WISCONSIN DEATH TRIP : 

Sans doute plus connu pour le documentaire qu’il a inspiré, Wisconsin Death Trip est un ouvrage aussi brillant que lugubre. Publié en 1973, il est l’oeuvre de Michael Lesy et se compose d’extraits de chroniques empruntées aux journaux de Black River Falls, une petite ville du comté de Jackson, dans le Wisconsin, ainsi que des photographies de la communauté, prises par Charles Van Schaick entre 1885 et 1900, qui servent à peindre l’atmosphère inquiétante du livre autant qu’elles constituent à elles seules des faits divers en images. 

L’histoire qui est racontée est celle d’une terrible lutte pour la vie dans un milieu constamment en proie aux épidémies, à la maladie mentale et à la pauvreté. Un véritable voyage dans le temps, dans la réalité crue d’un quotidien infâme. Alors que l’économie locale s’effondre, les actes de désespoir et de démence se multiplient : on retrouve le corps d’une femme nue, gelée dans une rivière. Une autre se tranche la gorge avec une tondeuse à mouton. Un médecin se supprime à la morphine. Des incendies volontaires sont allumés un peu partout. Aucun malheur n’est épargné à Black River Falls. 

La misère s’abat sur les plus faibles : 

« Une femme a été trouvée errante dans les rues d’Eau Claire avec son enfant mort dans les bras. Elle était du comté de Chippewa, avait perdu son mari et venait d’être licenciée. »

Des comportements bizarres trahissent des vices honteux : 

« Ms. Elizabeth Beckman a été arrêtée par l’inspecteur des postes Pulcifer, elle est accusée d’envoyer des lettres obscènes par la poste des États-Unis. »

Les suicides produisent une impression de répétition glauque : 

« Le corps d’un homme dont l’identité est inconnue a été trouvé pendu à un arbre à Rochester. »

« Frederick Windex, un fermier d’un certain âge, s’est suicidé à Janesville en se noyant dans l’étang dans lequel sa petite fille s’était accidentellement noyée il y a deux ans. »

« Henry Johnson, un vieux célibataire de Grand Dyke, à coupé la tête de tous ses coqs, à fait un feu de joie avec tous ses vêtements, et s’est tué en avalant de l’arsenic. »

« La pauvreté a poussé Auguste Schultz d’Appleton à se tirer dans la tête alors qu’il était assis dans sa petite maison entouré de sa femme et de ses cinq enfants. »

La folie est souvent au bout du chemin : 

« Mrs. John Larson, la femme d’un fermier de la ville de Troy, a noyé ses trois enfants dans le lac St. Croix lors d’une crise de démence. Son mari, constatant son absence de la maison, a commencé à la chercher et l’a trouvé sur la berge du lac … Deux de ses enfants étaient allongés sur le sable, morts. Le troisième n’a pas été retrouvé. Mrs. Larson imaginait que des diables la poursuivaient. »

« Mrs. Phillip Fredericks, âgée de 82 ans, à demi folle, s’est jetée dans la citerne de ses voisins à Beloit et s’est noyée. Elle avait depuis longtemps prévu de mourir de la sorte. »

Enfin, quelques entrefilets rendent le paysage plus sordide encore par ce qu’ils sous entendent : 

« Un nouveau corbillard, récemment acheté par les habitants de Chicago, est en ville depuis samedi soir. »

Wisconsin Death Trip possède une genèse intéressante. L’ouvrage s’est construit autour des photographies de Charles Van Schaick découvertes par Michael Lesy lors d’une recherche universitaire. Ces portraits en noir et blanc attisèrent suffisamment sa curiosité pour le pousser à compléter le témoignage iconographique par le témoignage écrit. Seules, ces photographies racontaient des histoires qui, bien qu’elles pouvaient se suffire à elles-mêmes, manquaient de cadre. En retraçant l’histoire de Black River, par la consultation de ses archives, Michael Lesy a refait vivre le temps d’un livre sa triste réalité et est parvenu à produire une oeuvre riche, originale et effroyable. 

WHEN THE COOK CAN’T LOOK : 

Il s’agit d’un livre de cuisine pour aveugles, écrit par Ralph Read et publié en 1981. L’auteur y fait étalage de techniques diverses afin d’éplucher les légumes sans se couper les doigts ou de réchauffer des conserves sans mettre le feu à l’immeuble. Détail curieux : Comme beaucoup de livres à destination des aveugles, celui-ci n’est pas transcrit en braille. Mais Ralph Read a prévu ce commentaire et il a le bon sens de préciser sur la couverture que le livre doit être lu à haute voix par les membres de la famille du futur Cordon-bleu. 

FROZEN SECTION OF A CHILD : 

Les anciens ouvrages de médecine et d’anatomie sont parmi les plus étonnants à consulter. On y trouve des pratiques étranges qui ne sont plus en vigueur, des expériences qui se soldent souvent par des désastres et un étalage d’outils dont on ne sait plus tellement s’ils sont pour soulager ou pour torturer. En 1881, le docteur Thomas Dwight de l’école médicale d’Harvard fait paraître Frozen Sections of a Child, une étude illustrée à partir des sections gelées puis découpées du cadavre d’un enfant de trois ans, dont la préface illustre parfaitement la confusion possible entre un traité d’anatomie et une autobiographie de Jeffrey Dahmer :

« Tout d’abord, assurez-vous que le corps ou la partie à congeler est dans la position souhaitée et qu’il n’y a pas de plis ou d’indentations dans la peau. J’utilise toujours le froid naturel lorsque cela est possible. Une température proche de zéro (Fahrenheit) n’est pas satisfaisante ; mais si la pièce est complètement refroidie par une exposition de plusieurs jours à une température assez basse, une nuit à 10°C peut éventuellement faire le travail. Le sel et la glace, ou la neige, sans aucun doute, répondront à cet objectif, mais il faudra beaucoup de temps et de patience. Il est essentiel que la glace fondue ait une chance de s’écouler. Le corps doit être gelé comme un roc, à tel point que l’opérateur ne peut pas dire s’il coupe un os ou un muscle. La dent est la seule chose qu’il devrait pouvoir reconnaître. Les coupes doivent être réalisées en chambre froide, avec une scie bien aiguisée et refroidie. Lorsqu’une section est coupée, sa surface est obscurcie par une épaisse sciure à moitié gelée, qui est doublement épaisse si la congélation n’est pas tout à fait suffisante. Il est plus sage, si le temps le permet, de l’enlever immédiatement, ce qui se fait en versant un peu d’eau chaude sur la section et en la brossant ou en la grattant rapidement et soigneusement. Il s’agit d’une partie très délicate du processus, et de sa réussite dépend beaucoup la beauté du résultat final. S’il doit être conservé, il doit être posé sur un morceau de verre ou de bois, et placé immédiatement, encore congelé, dans de l’alcool froid. »

ALPHABETICAL AFRICA : 

Dans le domaine de l’exercice littéraire sous contrainte, Walter Abish aime à se compliquer la tâche. Partant des prémices du lipogramme (le bannissement d’une lettre d’un texte), il souhaite en arriver à une oeuvre qui multiplierait les interdits en excluant progressivement toutes les lettres de l’alphabet. Le résultat de l’expérience est publié en 1974 sous le titre énigmatique d’Alphabetical Africa

Le premier chapitre ne contient que des mots commençant par la lettre A, le deuxième chapitre ne contient que des mots commençant par la lettre A et B, et ainsi de suite jusqu’au vingt-sixième chapitre. Le vingt-septième chapitre impose un nouvel ordre : chaque chapitre se voit désormais privé d’une lettre, en commençant par le Z. Ainsi, le texte revient à ce qu’il était au départ, avec un dernier chapitre ne contenant que des mots commençant par la lettre A. 

Inutile de préciser qu’il ne faut pas chercher d’intrigue à ce roman expérimental dont la lecture demande un certain acharnement. Quelques lecteurs ont cependant été assez méticuleux pour signaler des passages du texte où Abish fait de petites entorses involontaires à sa proposition de départ. Sur un total de 152 pages, on ne lui en tiendra pas rigueur. 

GADSBY : 

Rien à voir, même de loin, avec quoi que ce soit en lien avec Scott Fitzgerald. Gadsby est un roman de Vincent Wright où n’apparaît pas la lettre E. Enfin si … elle apparait, quatre fois, dans une première édition du livre. Ces étourderies furent corrigées et Vincent Wright peut désormais se vanter d’avoir aligné 50.000 mots sans jamais utiliser la lettre la plus courante de la langue anglaise. 

Lorsque le livre paru en 1939, il captiva les amateurs de techniques littéraires en tout genre. La limite dans le choix des mots préfigure aussi les situations du récit et fait prendre des détours plutôt étonnants à l’intrigue. Pourtant, rien de très bizarre dans les grandes lignes : un homme, John Gadsby, décide de donner une seconde jeunesse à sa ville natale, Branton Hills. Le lecteur suit son ascension sociale jusqu’au poste de maire et assiste à la transformation de Branton Hills en ville prospère et industrieuse. C’est plat, mais c’est sans E. 

LE GLOSSAIRE OUISTITI : 

Claude-Charles Pierquin de Gembloux est l’auteur de ce petit lexique consacré au langage des ouistitis, publié à Paris en 1844, dans lequel il démontre qu’une belle érudition n’est pas incompatible avec une certaine fantaisie. La bibliographie de notre homme se compose, en effet, des sujets les plus variés : histoire, archéologie, religion, numismatique, médecine. Mais aussi philologie et linguistique. C’est précisément dans ces domaines qu’il se permet de déraisonner. 

Pierquin de Gembloux s’appuie sur les textes bibliques et mythologiques pour affirmer, comme dans les contes, que les hommes et les animaux parlaient autrefois le même langage. Il soutient que le langage des animaux, étant parfait, n’a pas connu d’évolution depuis la création. Surtout, il donne un glossaire qui permet d’enfin comprendre la langue du ouistiti. 

En voici quelques extraits : 

« Ouik : Protection, secours, faiblement et mélodieusement. Ce mot ressemble aussi, quant à sa physionomie, à une expression de l’idiome des Schawanos, celui de toutes les tribus sauvages de l’Amérique qui ressemble le plus à la langue des wistitis, si toutefois l’idiome presque monosyllabique et sans forme grammaticale des Othomis, si analogue dès lors au chinois, ne lui ressemble pas davantage. »

« Krrrrreoeoeo : Être heureux, jouir d’un bonheur profond, accompli ; prononciation surlaryngienne aiguë quoique faible, tremblotante et grasseyante. Cette exclamation, ou ce substantif verbal, est également répétée plusieurs fois de suite, et d’autant plus fortement que la joie qui la fait est plus vive et plus grande. »

« Quih : Il me manque quelque chose que je désire vivement, que je demande. Prononciation aspirée et nasale. »

MASQUERADE : 

Quand Tom Maschler, de la société d’édition londonienne Jonathan Cape, met au défi Kit Williams de « faire quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant », celui-ci décide de relever le défi et s’attelle à la création d’un livre d’image totalement original. Ce livre Jeu de piste, paru en 1979, a poussé des milliers de lecteurs à la chasse au trésor. 

Le livre raconte l’histoire de Jack Hare, un lièvre chargé de porter un présent de la lune au soleil et qui égare son trésor sur le chemin. À travers quinze illustrations accompagnées de textes cryptiques, le lecteur devait trouver les indices qui le conduisaient au lièvre d’or, le fameux trésor du livre, un lièvre de 18 carats, forgé à la demande de Williams, et bien caché dans un coin d’Angleterre.

Des lecteurs de différents coins du monde se mirent à creuser le sol de propriétés privées et de jardins publics, grisés par l’appât du gain et convaincus de détenir la clé du mystère. En mars 1982, un certain Ken Thomas écrivit une lettre à Kit Williams en affirmant posséder la solution de l’énigme. Si la proposition de Thomas était la bonne, on découvrit plus tard qu’il ne l’avait pas trouvé en étudiant le livre, mais en entrant en contact avec l’ancienne petite amie de Kit Williams, Véronica Robertson, qui savait, à quelques détails prés, l’emplacement du précieux lièvre. Ken Thomas était en fait Dugald Thomson, un collègue du nouveau petit ami de Robertson. L’argent de leur collaboration devait soit-disant aller à la cause animale. 

A PICKLE FOR THE KNOWING ONES : 

Arrivé quelque part grâce à quelques investissements heureux, Timothy Dexter se fit connaitre comme un homme d’affaires excentrique et assez peu éduqué puisqu’il fit publier son autobiographie en 1802 et que celle-ci ne comportait pas de ponctuation. Sur les 32 pages du livre, on ne trouve en effet ni point, ni virgule. Les majuscules sont placées au hasard et l’auteur parvient difficilement à écrire trois mots sans commettre une faute d’orthographe. Un exemple : « United States » s’écrit pour Timothy Dexter « younited States ».

La première édition de A Pickle for the Knowing Ones fut reçue dans la moquerie. Pour faire taire les critiques, Timothy Dexter ajouta un appendice à la seconde édition. Il consistait en une page couverte de signes de ponctuations. L’auteur suggérait au lecteur de « saler et poivrer » le texte comme il l’entendait. 

DOKTOR BEY’S BOOK OF BRATS : 

Derek Pell fait partie de ces petits maitres oubliés dont les productions expérimentales firent les beaux jours des maisons d’édition underground d’autrefois. Il est l’auteur de plus de trente livres farfelus et sarcastiques où son talent s’exprime surtout par des détournements de vieilles gravures et par des collages divers. Dans les années 60, il est propriétaire d’une librairie à Chicago, The Not Guilty Bookshop & Press. Dans les années 70, il débute une série consacrée au Docteur Bey, un savant ubuesque qui, à chaque volume, explore un nouveau domaine excentrique. Doktor Bey’s Book of Brats fait suite à Doktor Bey’s Handbooks of Strange Sex et Doktor Bey’s Suicide Guidebook. Suivront Doktor Bey’s Bedside Bug Book et Doktor Bey’s Book of the Dead

Sur de nombreux points, Derek Pell s’inscrit dans la création littéraire postmoderne et autoréflexive. On retrouve le même gout du pastiche, de l’intertexte et du collage dans The Teachings of Don B. de Barthelme, publié en 1998. 

Quant au Book of Brats à proprement parler, c’est une sorte de guide de survie anthropologique destiné aux parents de morveux en tout genre. Ils y apprendront tout ce qui est bon à savoir, de la naissance du morveux à la façon d’en disposer. 

DANCING LESSONS FOR THE ADVANCED IN AGE :

C’est un roman écrit par l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal et publié en 1964. Un septuagénaire fait la rencontre d’un groupe de femmes qui se dorent au soleil. Parce qu’elles lui rappellent d’anciens amours, il revit en mémoire les éléments marquants de son passé. 

Les souvenirs s’expriment dans un monologue détaché de toute temporalité qui donne la sensation d’être exhalé d’un seul souffle, car Bohumil Hrabal est un écrivain habile et son livre ne mériterait pas de se retrouver dans une bibliothèque d’extravagances littéraires s’il n’était écrit en une seule et unique phrase, longue de 29 250 mots. 

THOUGHT-FORMS : 

En 1901, deux membres clairvoyants de la Société théosophique de Londres, Annie Besant et Charles Leadbeater, affirment pouvoir observer et illustrer la « substance de la pensée » et autres choses intangibles. Thought-Forms, A Record of Clairvoyance est publié une première fois en 1905 et est illustré par John Varley Jr. Les auteurs y avancent l’idée que les pensées sont dotées d’une sorte de qualité détectable visuellement, qui organise la vie de leur créateur et peut influencer celle des autres. 

Évidemment, nous sommes dans la pensée magique d’avant New-Age, mais ce livre se veut plus original qu’un rébarbatif manuel de développement personnel. On y apprendra, par exemple, à quoi ressemble « l’intention de savoir » ou encore « l’affection vague et pure ». On y trouvera un désormais bien connu tableau du sens des couleurs ainsi que la représentation de l’aura humaine. On saura que la qualité de la pensée détermine la couleur, que sa nature détermine la forme et que la clarté de la pensée détermine la clarté du dessin. 

Un ouvrage plutôt poétique, même s’il n’échappe pas à la couche de vernis scientifique que l’on aime à appliquer à chaque théorie douteuse pour la justifier. Les auteurs insistent ainsi sur le fait que les dessins du livre ne sont pas des formes imaginaires ou allégoriques mais bien les représentations fidèles de formes observées par différents témoins. Gageons que ces témoins étaient tous des théosophes. 

POOR LITTLE HEARTS : 

En 1875 fut publiée une édition complète des oeuvres de Nancy Luce dans laquelle figurait son poème le plus célèbre, Poor Little Hearts, une ode funèbre dédiée à une poule. De fait, tous les textes compilés parlaient de volailles. 

Nancy Luce fut appelée la « poétesse aux poulets du Massachusetts », elle vendait ses recueils de poésie avec une photographie d’elle posant en compagnie d’Ada Queetie et Beauty Linna, ses amies à plumes préférées. Orpheline à ses vingt ans, elle s’était entourée de gallinacés qui faisaient son bonheur. Les défuntes muses étaient enterrées dans son jardin sous de petites pierres tombales et les curieux y venaient lire leurs épitaphes. Ces pierres tombales furent cédées à la librairie de la ville à la mort de Nancy Luce. 

L’UNITÉIDE : 

L’unitéide est un poème en 60 actes et 25 000 vers, publié en 1805 et composé par le Français Paulin Gagne : « candidat universel, perpétuel et inamovible » à toutes les élections. 

Paulin Gagne cumule les titres et les décorations. Avocat au barreau de la Seine, membre du conseil municipal et premier adjoint au maire de Montélimar, rédacteur en chef d’un journal républicain catholique, professeur de littérature : Paulin Gagne est tout cela, avec un succès mitigé. 

Pour prétendre à une telle ambition, il faut, en revanche, être à moitié fou. Et dans ce registre, Paulin Gagne laisse un héritage littéraire non négligeable : En premier lieu, le poème dont il est question, L’unitéide, est une vaste épopée prospective dans laquelle l’auteur clame l’avènement prochain de la Femme-Messie face à un monde corrompu par Satan. Mais ce n’est pas le seul coup d’éclat du poète : après un court séjour en maison de santé, Paulin Gagne fonde Le Journalophage, ou Le Mangeur de journaux, satire anti-journal, paraissant quand il peut, par M. Gagne tout seul, puis L’Uniteur du monde visible et invisible. Il rédige aussi une « constitution philanthropophagique » à l’intention de l’Algérie, alors en pleine famine. Cette constitution permettait aux gens de se manger les uns les autres, par charité. Il récidive lors du siège de Paris de 1870, proposant de « philanthropophager » ainsi les journalistes et les vieillards. Une idée pas si folle. On notera enfin La Gagne-monopanglotte, un essai de langue universelle qui plonge à la racine des mots d’une vingtaine de langues, vivantes ou mortes. 

LA SCIENCE DE DIEU OU LA CRÉATION DE L’HOMME : 

En ce qui concerne le domaine des fous littéraires dont André Blavier avait commencé l’étude, Jean-Pierre Brisset s’impose comme un cas d’école, un monument de la littérature insolite capable de fasciner Raymond Queneau, d’être canonisé dans le calendrier pataphysique, de donner son nom à une rue et de se faire élire, en 1913, comme « prince des penseurs » par les amis de Jules Romain.

Il faut dire que son oeuvre est exemplaire. Elle débute en 1871 par La Natation ou l’art de nager appris seul en moins d’une heure, puis se poursuit en 1878 avec La Grammaire logique ou Théorie d’une nouvelle analyse mathématique, petit ouvrage dans lequel on trouve déjà les grandes lignes d’une oeuvre à venir : 

« L’homme est né dans l’eau, son ancêtre est la grenouille et l’analyse des langues humaines apporte la preuve de cette théorie. »

Brisset va défendre toute sa vie cette genèse batracienne de l’homme :

« La grenouille a le cou engoncé dans les épaules. Le développement du cou vint en même temps et après la venue du sexe qui était l’indice que l’on était né. On disait donc : Il est né, cou est fait, quand le cou était formé et c’était un grand bonheur d’être né coiffé, car la venue du cou donnait des torticolis dont nous souffrons encore. Qui était né coiffé était haut collet monté. Je suis haut, col est monté ; tu es bien, col est monté. Quelle précision ! Le cou monta des épaules. La venue du cou dégagea la première coiffe, le à cou est feu. En se dégageant cette coiffe ou tête donnait un feu dans la gorge et autour du cou. La souffrance chez les démons se nommait feu. »

Le rôle primordial de la grenouille établi, Brisset n’a encore rien dit et il reste à écrire le principal. Plutôt que de publier un nouveau livre, il préfère rebaptiser et améliorer le précédent. Son magnum opus est d’abord annoncé publiquement en 1900 par La Grande Nouvelle, un papier dans lequel les Parisiens sont sommés de se tenir prêts pour une grande révélation, à savoir la parution prochaine de La Science de Dieu ou la Création de l’homme. C’est dans ce livre que Brisset développe sa philologie révolutionnaire : 

« Toutes les idées que l’on peut exprimer avec un même son, ou une suite de sons semblables, ont une même origine et présentent entre elles un rapport certain, plus ou moins évident, de choses existant de tout temps ou ayant existé autrefois d’une manière continue ou accidentelle. »

Toutes les langues trouvent leurs origines dans le « couac » primitif de la grenouille. C’est de ce son premier que descend toute l’humanité. On rendra difficilement compte de l’ingéniosité verbale que dégage l’oeuvre de Brisset sans pousser vivement à lire La Science de Dieu, tant la langue y est célébrée de la plus curieuse manière. La langue des oiseaux de l’auteur est un modèle d’absurde, de logique, d’étymologies hasardeuses et d’analogies insensées. Voici comment il définit la lettre I : 

« Le premier i est le membre raide ou droit. La violence de l’érection créa l’ire ou la colère, fit jeter les premiers cris et aller de tous côtés. On peut dire que la vie commença par la lettre i, comme c’est par la laiterie que l’enfant commence à vivre. »

Et la lettre Q : 

« Nous avons indiqué spécialement la valeur de queux à la lettre C.
Les queues réelles causaient des querelles.
Tu ma queue use, tu m’accuses.
La queue use à sillon, l’accusation.
Qui sexe queue use, sa queue use. »

En 1906, l’esprit divin inspire à Brisset Les Prophéties accomplies, qui annonce le repos du prophète. Pour un temps du moins, puisqu’en 1913 il réécrit encore une fois La Science de Dieu qu’il baptise cette fois Les Origines humaines. Il abandonnera finalement ce qui devait être une énième révision de son oeuvre, non sans avoir laissé une empreinte pérenne dans la grande bibliothèque du Bizarre. 

THE CRUISE OF THE KAWA : 

Le journaliste et satiriste George Shepard Chappell signait ses livres de divers pseudonymes, dont le plus usité était Walter E. Traprock. C’est sous cette fausse identité que Chappell inventait des récits de voyages qu’il se plaisait à faire passer pour authentiques. La plus célèbre de ces expéditions imaginaires est celle de la traversée du Kawa dans un archipel du Pacifique, un livre publié en 1921 et se présentant comme un témoignage validé par les spécialistes.

Le Kawa est le nom donné à un navire qui accoste dans les iles « Filbert ». Le Capitaine Traprock consigne alors ses découvertes sur le peuple filbertin et sur la faune locale. Il évoque le Ooza, un serpent inoffensif qui se nourrit de lait de coco. Il décrit également des crabes énormes capables de tirer des embarcations. Mais la découverte la plus stupéfiante de Traprock, c’est le Fatu-Liva, une espèce d’oiseau qui a le don unique de pondre des oeufs carrés. L’explorateur fournit une photo des oeufs en question, qui ne sont en fait que des dés à jouer sur un tapis de plumes. 

Parmi les péripéties du récit, on retiendra particulièrement la rencontre de Traprock avec une belle filbertine : 

« J’étais marié depuis plus d’une semaine et je ne connaissais toujours pas le prénom de ma femme.

« Kippiputuonaa » murmura-t-elle mélodieusement. 

« Taro ititi aa moieha ephaa lihaha ? » lui demandai-je, ce que l’on pourrait librement traduire par : « Quoi ? ».

Beaucoup accordèrent un certain crédit au témoignage de Chappell malgré un ton ironique constant et des photos loufoques dans des décors truqués. Walter Traprock fut même convié à Washington D.C. pour faire une lecture de son oeuvre devant le comité du National Geographic. 

JAP HERRON : A Novel Written from the Ouija Board : 

Ce roman est un spécimen rare de livre écrit par un fantôme. Et quel fantôme ! Rien de moins que celui de Mark Twain. Oeuvre posthume, donc, dictée en 1917 à la médium Emily Grant Hutchings par l’intermédiaire de la planche Ouija. L’illustre écrivain américain étant plus vendeur que l’humble dactylo qui lui servait de relais, c’est surtout son nom que l’on mit en avant pour promouvoir le livre. L’engouement de l’époque pour les communications spirites fit le reste. 

On peut se demander ce qui poussa Mark Twain à se manifester d’entre les morts pour ajouter ce roman à son répertoire, tant Jap Herron est en dessous de toute la production parue du vivant de l’auteur. Du reste, l’oeuvre est désormais bien oubliée puisque Clara Clemens, la fille de Mark Twain, s’opposa judiciairement à ce que le nom de son père soit évoqué autour des tables tournantes. Hutchings décida de se faire petite souris et détruisit tous les exemplaires qu’elle avait encore sous la main. 

Ce n’est pas l’unique exemple connu de rédaction d’outre tombe. Signalons le journal post-mortem de T.E. Lawrence retranscrit par Jane Sherwood en 1964, au moyen de l’écriture automatique, ainsi que Psychic Messages d’Oscar Wilde, en 1934, dans lequel le fantôme de l’auteur semble particulièrement remonté contre James Joyce. Plus lointain encore, Des Indes à la planète Mars de Théodore Flournoy, est un rapport sur le cas d’Hélène Smith, une médium française dont l’antenne parabolique psychique était réceptive aux défunts, mais pas n’importe quels défunts, que des gens d’importance ! Marie Antoinette ou rien. Hélène Smith captait aussi des signaux des martiens, qui eux étaient bien en vie. Pendant dix ans, jusqu’en 1901, elle a tenu soixante séances de parler en langue des morts et de parler en langue martienne. Dix années où Hélène Smith amassa une petite fortune à se faire la scribe d’Hélène Smith. 

LOST : Lost and Found Pet Posters from Around the World : 

Qui ne s’est jamais arrêté devant une annonce de chien perdu ? Ian Philipps en a fait un livre. Lost, publié en 2002, réunit plus d’une centaine d’affiches d’animaux fugueurs collectées de la Suisse aux États-Unis. 

« Je collectionne les annonces d’animaux perdus. Chacune est une émouvante histoire d’amour, de perte, d’amitié, illustrée de manière désuète. Alors qu’elles sont réalisées sans moyens et qu’elles sont vite détruites, les propriétaires d’animaux mettent tout leur coeur en elles, ils exposent leur émotion sur un poteau téléphonique. »

Chacune de ces annonces est une histoire à elle seule, une histoire dont on ne sait pas la fin. Au lecteur de spéculer sur le destin de ces petites bêtes perdues dans un tremblement de terre ou dans le vol d’une voiture. À lui d’imaginer si le chien sans pattes ou Bo le serpent ont pu être retrouvés, ou si quelqu’un a touché la récompense de 10.000 dollars promise pour le caniche Susan. 

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